De même que je ne quitte jamais l'épicerie de mon quartier sans enfourner un petit nounours en guimauve enrobée de chocolat (la boîte - ouverte - est judicieusement placée juste à côté de la caisse), au moment de régler mes achats dans une librairie, je jette toujours un coup d'œil sur les petits livres qui encombrent généralement le comptoir. Et je ne suis jamais déçu. C'est ainsi que chez Monèle et Yves, à Uzès, je suis tombé l'an dernier sur ce que j'ai lu jusqu'à présent de plus beau et de plus cohérent contre la création d'un ministère de l'identité nationale : Quand les murs tombent, par les écrivains martiniquais Édouard Glissant et Patrick Chamoiseau. Chez Colette, à Paris, c'est pareil, et son antique comptoir en bois et cuivre est un véritable étal à friandises, constamment renouvelées. De Lire aux cabinets, d'Henry Miller, au Bréviaire de la gueule de bois, d'Orlando de Rudder, en passant par le kitchissime Comment repasser sa chemise (et autres bonheurs domestiques), ou encore le savoureux et néanmoins très respectueux recueil d'instructions aux soldats britanniques s'apprêtant à débarquer en France (édition bilingue préfacée par Pierre Assouline), ce sont autant de "nounours" qu'au fil des mois j'ai emportés et dégustés à la terrasse du Bouledogue, à l'heure de l'apéro. Dernier en date : Platon et son ornithorynque entrent dans un bar, dédié à Groucho Marx. Les deux auteurs, américains, se proposent de passer en revue les principaux domaines de la philosophie et d'en expliquer/illustrer les concepts par des histoires drôles (des "philoblagues"). Le livre en est littéralement truffé ! Cela donne ceci [extraits] :
« Dans les annales de la littérature, aucun héros n'est renommé pour ses pouvoirs de "déduction" autant que l'intrépide Sherlock Holmes, mais on a bien tort d'en déduire que Holmes suivrait les règles de la logique déductive. Car c'est à la logique inductive qu'il fait appel en général : il commence par observer soigneusement la situation, puis il généralise à partir de ses expériences antérieures, avec un zeste d'analogie et un soupçon de probabilité, comme dans l'histoire suivante :
Holmes et Watson font du camping. Soudain, au cœur de la nuit, Holmes se réveille et donne un coup de coude au Dr Watson. « Watson », dit-il, « regardez le ciel et dites-moi ce que vous voyez. »
« Je vois un million d'étoiles, Holmes », dit Watson.
« Et à quelle conclusion arrivez-vous, Watson ? »
Watson réfléchit quelques instants. « Eh bien », dit-il, « en termes d'astronomie, cela me dit qu'il y a des millions de galaxies et potentiellement des billions de planètes. En termes d'astrologie, j'observe que Saturne est dans le Lion. En termes d'horlogerie, je déduis qu'il est approximativement trois heures et quart. En termes de météorologie, j'ai comme l'idée qu'il fera beau demain. En termes de théologie, je vois que Dieu est tout-puissant, et que nous sommes petits et insignifiants. Hum, mais que vous en semble, à vous, Holmes ? »
« Watson, vous n'êtes qu'un idiot ! On nous a volé notre tente ! »
Induction. Cela fait des années que nous nous trompons dans la qualification du talent de Holmes.
(…) Si la philosophie s'enduit d'erreur, c'est dans la majorité des cas à cause de sa propension à manier des points de vue relatifs comme s'ils étaient absolus. Thomas Jefferson, s'inspirant du philosophe anglais John Locke, affirmait que le droit de vivre, la liberté et la poursuite du bonheur allaient de soi, sans doute parce qu'il pensait que c'étaient là des valeurs universelles et absolues. Mais cela ne va pas de soi pour une personne d'une autre culture - disons un islamiste radical qui pense que la recherche du bonheur est exactement ce qui caractérise un infidèle. L'erreur inverse est aussi possible. Nous pouvons conférer de la relativité à quelque chose qui est absolu :
L'homme de quart sur un cuirassé aperçoit une lumière droit devant. Le capitaine lui dit d'entrer en contact avec l'autre bâtiment.
« Ordre de dévier immédiatement de vingt degrés ! »
La réponse revient : « Ordre à vous de dévier immédiatement de vingt degrés ! »
Le capitaine est furieux. Il envoie un message :
« Je suis capitaine. Nous sommes maintenant sur une voie de collision. Modifiez votre cap de vingt degrés sur-le-champ ! »
La réponse revient : « Je suis matelot de deuxième classe, et je vous somme de modifier votre cap de vingt degrés. »
Sous l'effet de la colère, le capitaine est maintenant hors de lui. Il envoie un autre message : « Je suis un cuirassé ! »
La réponse revient : « Je suis un phare. »
Veillez à avoir bien présentes à l'esprit ces considérations profondes sur la relativité la prochaine fois que vous commanderez un dîner chinois - c'est-à-dire, traduit du chinois, un dîner. »
Les passants de la rue Rambuteau m'ont vu pleurer de rire…
(trois sites à visiter : Les Cahiers de Colette - Le Bouledogue - Le Parefeuille)
Je note deux choses bien soigneusement dans un coin de mon cervelet, vous dévorez les nounours et vous dévorez les "nounours".
Nounoursement vôtre,
La vilaine
Rédigé par : La Vilaine | 12 mai 2008 à 23:53
Ben tiens... Moi aussi ch'ui gourmand !
Rédigé par : Anatoll4 | 13 mai 2008 à 00:00
Cette sélection de petits livres donne réellement envie. Merci pour ce partage de philosphie par l'humour, je crois que c'est exactement le genre de lecture instructive mais néanmoins critique qui pourrait m'aider à revoir mes piètres notions de philo...
Ce site semble une mine que j'explorerai de temps à autre!
Rédigé par : Flo - clepsydre | 04 novembre 2008 à 17:07